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L’image dans les cours de littérature

Témoignage de Wilfried Ségué, enseignant au CIEF, université Lyon, qui évoque la question de l’image dans ses cours de littérature au niveau B2.

De l’image en cours de littérature et FLE,

Comment accéder au sens d’un texte par la notion de représentation ?

par Wilfried Segue, Université Lumière Lyon 2

Interrogée sur les enjeux des images de guerre dans l’émission Le Nouveau Rendez-vous de Laurent Goumarre[1], Anne Barrier [2]affirme: «  L’image est un poids, une force, pour moi c’est un langage universel, c’est une langue internationale que tout le monde peut comprendre, qu’on soit instruit ou pas, qu’on parle français ou pas, l’image elle parle à tout le monde. ». C’est à l’aune de cette pensée et partant d’un point d’achoppement dans l’enseignement de la littérature à des étudiants allophones non spécialistes, l’appréhension de la confrontation au texte et à l’intelligibilité du signe et du signifiant littéraires, que j’ai cherché à renouveler une approche pédagogique au niveau B2. Dès lors, l’enjeu est de proposer un parcours littéraire, avec comme fil conducteur ce qui crée et évoque des images à même de faciliter la réception du texte sans perdre de vue pour auta

nt une certaine exigence de contenu et de méthodologie littéraires. En effet, l’objectif du cours est de pouvoir commenter un texte par sa puissance évocatrice et les systèmes d’images qu’il convoque ou qui entrent en résonance avec la sensitivité et l’imaginaire des étudiants. Afin d’éclairer mon propos, je prendrai appui en particulier sur une séquence consacrée à la nouvelle Le Horla de Guy de Maupassant. L’esthétique littéraire fantastique est particulièrement opérante dans notre recherche puisqu’elle porte en creux la question-même de la représentation de signes affectant une réalité qui incombe au personnage et au lecteur et qui résistent à leur intelligibilité. En contexte d’enseignement littérature et FLE, se joue ici un transfert de situation qui peut interpeller l’étudiant : une mise en abîme de l’opacité dans l’accès au sens (d’un texte comme d’un événement survenu dans un environnement tangible) qui suscite le trouble et l’hésitation et qui enclenche des remédiations compensatoires, dont recours à l’image : « Dans un monde qui est bien le nôtre, celui que nous connaissons, sans diables, sylphides, ni vampires, se produit un événement qui ne peut s’expliquer par les lois de ce même monde familier […] Le fantastique, c’est l’hésitation éprouvée par un être qui ne connaît que les lois naturelles, face à un événement en apparence surnaturel »[3]. Nous constituons un livret de textes ou d’extraits (« 8 mai »« 5 juillet », « 19 août ») et de peintures des XVIIIe et XIXe siècle qui favorisent un dialogue et une mise en lumière réciproque de la représentation du fantastique. En amont, on propose la lecture partielle de l’article de Mohammed Saleh Dadci[4] qui définit les enjeux du fantastique en regard du merveilleux et de l’étrange. Le texte du « 19 août » par lequel nous débutons est l’acmé de la nouvelle : la manifestation tangible du fantastique. Cette première séance propose une illustration de l’article de Saleh Dadci tout en offrant une pluralité d’activités autour de l’image. Tout d’abord, l’enseignant amène les étudiants à ce qui se joue au plan de la perception sensitive et émotive du personnage avant de mettre à jour tout un système d’images (comparaisons, métaphores, tableau, sonorités signifiantes dans le texte, etc.). C’est une première élucidation littéraire des premières impressions et sensations de lecture. La séance fait la part belle à un travail autour de l’objet clé du texte : le miroir, afin d’en commenter toute l’ambivalence : un objet dont la fonction réfléchissante est partiellement détournée pour devenir une toile vivante dévoratrice de l’image du personnage. Ce point d’orgue est aussi l’occasion de revenir sur un autre enjeu visuel majeur du texte, à savoir la mise en scène du fantastique. Le fonctionnement défectif de l’objet met en abîme l’intérêt de l’image dans la séance tout en proposant une certaine appropriation vivante du texte. A la lumière du corpus de peintures[5], s’ensuit une réflexion sur la question de la représentation dans le texte littéraire, ce qui renvoie en creux, aux questions fondamentales de diégésis et de mimésis soulevées par Aristote dans la Poétique : « Si l’on appelle imitation poétique le fait de représenter par des moyens verbaux une réalité non-verbale, et, exceptionnellement, verbale (comme on appelle imitation picturale le fait de représenter par des moyens picturaux une réalité non-picturale, et exceptionnellement picturale), il faut admettre que l’imitation se trouve dans les cinq vers narratifs […] »[6] A ce stade de la séance, nous engageons une réflexion sous l’angle de la représentation scénique du texte (travail sur la signifiance réaliste et la fonction didascalique de la description de l’espace, la mise en abîme de la figure du metteur en scène, le rapport entre lumière et tableau, etc…). Enfin, le retour à un travail autour du lexique, notamment du vocabulaire des figures de style et des champs lexicaux, favorise une acquisition consciente d’outils d’expression à mettre en œuvre soit dans des compétences d’explication ou de commentaire littéraire du texte, soit de production écrite : « faire écrire les apprenants selon une consigne d’effort vers le littéraire (la langue, les images), c’est du même coup leur offrir un temps d’élaboration pour l’ensemble de leurs apprentissages. »[7]

Suite de la contribution du CIEF dans la Tribune « Littérature et FLE » publiée dans le français dans le monde n°423 (http://www.fdlm.org/)

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[1] émission du 23.01.2019, Reporter de guerre au féminin, France inter.

[2] journaliste reporter d’images

[3] Tsvetan Todorov, Introduction à la littérature fantastique, 1970.

[4] Mohamed Saleh Dadci, « La narration fantastique » ; Etude d’une nouvelle de Prosper Mérimée, Les âmes du purgatoire, 1834, Revue Sciences humaines, n°41, juin 2014, p.96-106, Université Constantine 1, Algérie.

[5] Notamment les lithographies de Damazy et les 3 versions du Cauchemar de Füssli

[6] Gérard Genette, « frontières du récit », commentaire de l’Iliade d’Homère, Figures II, 1969.

[7] Marie Berchoud, Textes littéraires et apprentissage du FLE-FLS, université de Bourgogne, Dijon, 2015-2016.


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